DEBOUT DANS L’EAU, un roman de Zoé Derleyn.

LITTÉRATURE CONTEMPORAINE

Éditions du Rouergue – Collection la brune


La narratrice, une enfant de onze ans, vit chez ses grands-parents, dans le Brabant flamand. Sa mère l’a abandonnée des années auparavant. C’est l’été dans cette vaste maison bordée d’un étang et d’un magnifique jardin. Le grand-père est en train de mourir dans une des chambres à l’étage, visité chaque jour par une infirmière.
Cet homme autoritaire, distant, intimidant, est l’ombre manquante dans le jardin, espace de prédilection où sa petite-fille l’assistait dans ses occupations. Alors que la mort approche, autour de la fillette prennent place les différents protagonistes de ce lieu où la nature est souveraine : ses grands-parents bien sûr, les trois chiens, un jeune homme qui s’occupe des gros travaux, une baleine qui un jour a surgi dans l’étang. Elle rêve aussi d’un ailleurs qui pourrait être l’Alaska, la mer des Sargasses ou les Adirondacks.
Dans ce premier roman qui impressionne par sa sobriété et sa maîtrise, Zoé Derleyn interroge avec subtilité la manière dont se construit une filiation.

 

Ma note : 3/5
Nouveauté 2021
144 pages
Disponible au format numérique et broché

MON AVIS

Voici une lecture qui m’aura donné quelques sueurs froides. Un style à la fois imagé, parfois enfantin, mais surtout sombre. Alors que les paysages auraient pu paraître lumineux j’ai eu cette sensation d’étouffement.

 

Cette petite fille qui n’a plus peur de rien ni même de la mort imminente de son grand-père assez rustre, plonge dans son passé, s’accroche à tous ses souvenirs, ses petits moments délicats qui offrent ce sentiment de quiétude de faire partie de quelques chose.

 

Passé, présent et futur s’entrechoquent au rythme de cet étang berceau de vie, de peur et d’espoir. La réalité côtoie un certain imaginaire et innocence propre aux enfants.

 

J’ai beaucoup eu du mal à interpréter ce récit et à lui donner un sens approprié. Je n’ai pas su me saisir d’un contexte, de cette nature rigoureuse et des personnages qui ont pourtant tant à dire au cœur de leurs silences. La plume de l’auteure est à la fois délicate et rigoureuse jouant sur ces deux tempos qui m’ont souvent mis mal à l’aise.

 

Ce roman n’était certainement pas fait pour moi malgré l’intensité du texte.

SEPT GINGEMBRES, un roman de Christophe Perruchas.

Des dizaines de milliers d’articles et celui-là. Je le regarde, je ne le comprends pas tout à fait. Le logo, tout me semble absurde dans ce journal. Ces quinze secondes qui ont sorti tout l’air de mes poumons.


C’est un père attentionné, un manager toxique, un mari aimant, mais aussi un prédateur sexuel, un publicitaire exsangue, une victime des temps qui vont, un coupable sans aucun doute.
Il vit, on le suit, caméra à l’épaule, instantanés de ses maintenant, haïkus éclatés, qui vont nous révéler petit à petit l’ensemble de l’image, pixel après pixel.
Toutes ces zones grises sont autant de nuances qui finissent par constituer un visage familier : celui de l’époque.
Qui s’achève dans la chute d’un mâle blanc, quadragénaire, asphyxié par un système dont il est le combustible.
En véritable sismographe, Christophe Perruchas enregistre cet effondrement qui fait écho à celui d’un vieux monde à bout de souffle.

Christophe Perruchas signe un premier roman d’une beauté violente. Scènes courtes « en dedans – en dehors », deux visions d’un monde qui ne va pas à la même vitesse. Un « dehors » où prédateurs de cette société patriarcale, voraces de viandes fraîches que représente la femme, doivent porter haut son rôle d’homme. Scènes choquantes, intimistes, pensées nauséabondes, gestes déplacés, suite logique du formatage induit dés la naissance. Lui, la quarantaine, bien dans ses souliers, père aimant, mari formidable instagramé sous toutes les coutures.
Images sacrées qui reflètent la réussite, sociale et familiale, likées et émoticonées à outrance. Témoins de la recherche de réussite et approbation illégitime de la réalité des coulisses. Haut cadre dans le milieu de la publicité, l’image doit lui coller à la peau. Bel homme apprêté, graveleux à souhait et à outrance, il est difficile de le dénoncer. Une entreprise où les salariées sont respectées, du moins l’essai est à l’œuvre. Les mots déplacés, les gestes équivoques, les yeux baladeurs, le smartphone témoin silencieux et conscient, du geste de silencieux et illicite. Un mot de trop, un geste de trop, la photo de trop, et la corde se resserre.

 

 » En dedans », lieu solennel de fous mais où la paix règne en maîtresse. Plus besoin de penser, plus besoin de s’inquiéter, plus besoin de rien, se laisser porter par les médicaments, les balades, la chambre aseptisée et impersonnelle. Un monde où tout les possibles sont inimaginables, à souhait, à la commande, le clik & collect dans toute sa splendeur, rapide. Vivre en harmonie avec sa névrose, sans jugement, aucun. Ce monde, il le découvre, alors qu’il rend visite au frère de son meilleur ami. Un monde d’exil, terre de paradis.

 

Ton ferme, plume acérée, verve piquante, troublée par cette poésie intrigante surgissant dans ces moments inattendus. Une mouche, des textos, une balade en scooter, une controverse singulière, un piège. Un rythme effréné, le temps n’a pas le temps de se languir, toujours plus, toujours plus d’images de cet homme captif de ses envies non partagées et contrôlées. Un personnage non sympathique, antipathique,  mais pour qui je me suis posée de nombreuses  questions. Aurait-il été le même homme dans un autre contexte socio-culturel ? Son comportement est-il conditionné par le modèle patriarcal ? Y a t’il cette volonté de se défaire des codes régis par la masculinité ? Ou est-ce une forme de lâcheté, d’esquive ? Est-ce vraiment de sa faute ? A t’il été conditionné psychologiquement ? Des questions où les réponses n’apparaissent pas mais qui lancent le débat sur ce thème de sociologie. Alors que certaines avancées sont réalisées pour la condition des femmes au travail entre autre, j’ai cette impression qu’un pas en engendre deux en arrière. Alors que #MeToo résonne encore, ce roman trouve une place légitime.

 

Un roman que je ne peux que vous conseiller, pour sa justesse, sa mélodie aussi dramatique qu’elle soit et son sujet. Lecture à croiser avec DES HOMMES JUSTES de Jablonka.

 

A découvrir absolument !

 

Une chronique de #Esméralda