On a coutume de dire qu’il y a deux types d’histoires : celle où le héros part en voyage et celle où un étranger arrive en ville. Les derniers touristes se sont envolés depuis longtemps quand, ce jour de décembre 2007, « l’étranger » – Daniil – pousse la porte de l’auberge dans laquelle travaille Kathleen, au cœur du parc naturel. À son accent et son allure, il n’est à l’évidence pas d’ici, mais Kathleen, qui a choisi ce coin pour son silence, n’est pas du genre à jouer les indiscrètes.
À seulement 27 ans, elle est veuve depuis quatre ans déjà, depuis l’accident de voiture qui a coûté la vie à son mari… « L’étranger » dit être un étudiant ouzbek – rien ne le prouve, par contre il semble évident qu’il a peur, qu’il fuit quelque chose, quelqu’un. Les jours passent, se ressemblent, peu à peu une amitié se noue. Plus Kahtleen apprend des secrets de Daniil (« J’ai trahi »), plus il lui devient impossible de continuer à ignorer les siens. Et, pendant ce temps, le danger se rapproche…
Traduction Eric Moreau.
Au cœur de forêts de Pennsylvanie, Kathleen vaque jours après jours à ses occupations. Région coupée du monde dès les premières neiges, le snack où elle travaille devient silencieux. Les heures et les jours s’égrènent selon un rituel fallacieux. Un pas après l’autre Kathleen, survit à sa vie devenue un sale enfer. Le corps douloureux, l’âme en peine, Kathleen est devenu le fantôme d’elle même. Blessures visibles, blessures invisibles se côtoient cette chair meurtrie au delà du concevable. Kathleen avance tant bien que mal, s’efforce d’être la jeune femme qu’elle devrait être, s’efforce de sourire à sa grand-mère soucieuse et malade, s’efforce de se cacher sous cet artifice qu’est l’apparence.
Alors que les premières neiges font leur apparition, un étranger fait irruption. Un premier contact aussi froid que délicat, mais qui pousse la curiosité de Kathleen à son maximum. Alors qu’il s’éternise dans le coin, une étrange liaison s’installe entre eux. D’abord silencieuse, elle évolue vers l’amitié. Une relation où la méfiance est de mise dans un premier temps, s’effilochant vers les confidences. La neige resserre les liens, les tisse, sur le chemin de la résilience, de l’acception et de la rédemption. Alors que cette dernière fuit à l’arrivée du printemps, la vérité explose, effraie.
Sarah St Vincent signe un premier roman d’une rare intensité. Elle met en scène posément ses personnages et les amène avec une délicieuse délicatesse à la délivrance. Elle virevolte dans les airs une douce mélopée, laissant ici et là des notes acides, dramatiques. Avec grâce, mélancolie et dans ce silence qui annonce le pire, Sarah St Vincent met en scène l’innommable, la violence. D’abord tapie dans ce silence morbide, l’arrivée de l’étranger va la réveiller, mais au lieu de surgir, elle va tisser sa toile solidement pour que rien ne lui échappe. Elle se nourrit des peurs, des souffrance et des cauchemars. Et puis le moment venu, elle s’octroie le rôle principal. Cette montée crescendo est très perfide dans le sens où elle surprend littéralement et on comprend qu’au point final pourquoi. Sous la cadence latente des trois quarts du roman, le pire se prépare. Sarah St Vincent traite un thème fort et actuel : violence domestique, celle psychologique et physique. Elle aborde avec une véritable sensibilité et avec une force considérable, celle qui permet la délivrance fictive ou réelle.
Kathleen et Daniil, c’est en quelque sorte le Blanc et le Noir qui se rencontrent. Chacun dans sa manière d’interagir avec l’autre va servir de miroir révélateur. Une histoire d’amitiés qui n’aurait pas dû être, une histoire d’un homme et d’une femme transfigurés à tout jamais par la noirceur la plus abyssale de l’âme humaine.
A découvrir de toute urgence !
Une chronique de #Esméralda
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