SEPT GINGEMBRES, un roman de Christophe Perruchas.

Des dizaines de milliers d’articles et celui-là. Je le regarde, je ne le comprends pas tout à fait. Le logo, tout me semble absurde dans ce journal. Ces quinze secondes qui ont sorti tout l’air de mes poumons.


C’est un père attentionné, un manager toxique, un mari aimant, mais aussi un prédateur sexuel, un publicitaire exsangue, une victime des temps qui vont, un coupable sans aucun doute.
Il vit, on le suit, caméra à l’épaule, instantanés de ses maintenant, haïkus éclatés, qui vont nous révéler petit à petit l’ensemble de l’image, pixel après pixel.
Toutes ces zones grises sont autant de nuances qui finissent par constituer un visage familier : celui de l’époque.
Qui s’achève dans la chute d’un mâle blanc, quadragénaire, asphyxié par un système dont il est le combustible.
En véritable sismographe, Christophe Perruchas enregistre cet effondrement qui fait écho à celui d’un vieux monde à bout de souffle.

Christophe Perruchas signe un premier roman d’une beauté violente. Scènes courtes « en dedans – en dehors », deux visions d’un monde qui ne va pas à la même vitesse. Un « dehors » où prédateurs de cette société patriarcale, voraces de viandes fraîches que représente la femme, doivent porter haut son rôle d’homme. Scènes choquantes, intimistes, pensées nauséabondes, gestes déplacés, suite logique du formatage induit dés la naissance. Lui, la quarantaine, bien dans ses souliers, père aimant, mari formidable instagramé sous toutes les coutures.
Images sacrées qui reflètent la réussite, sociale et familiale, likées et émoticonées à outrance. Témoins de la recherche de réussite et approbation illégitime de la réalité des coulisses. Haut cadre dans le milieu de la publicité, l’image doit lui coller à la peau. Bel homme apprêté, graveleux à souhait et à outrance, il est difficile de le dénoncer. Une entreprise où les salariées sont respectées, du moins l’essai est à l’œuvre. Les mots déplacés, les gestes équivoques, les yeux baladeurs, le smartphone témoin silencieux et conscient, du geste de silencieux et illicite. Un mot de trop, un geste de trop, la photo de trop, et la corde se resserre.

 

 » En dedans », lieu solennel de fous mais où la paix règne en maîtresse. Plus besoin de penser, plus besoin de s’inquiéter, plus besoin de rien, se laisser porter par les médicaments, les balades, la chambre aseptisée et impersonnelle. Un monde où tout les possibles sont inimaginables, à souhait, à la commande, le clik & collect dans toute sa splendeur, rapide. Vivre en harmonie avec sa névrose, sans jugement, aucun. Ce monde, il le découvre, alors qu’il rend visite au frère de son meilleur ami. Un monde d’exil, terre de paradis.

 

Ton ferme, plume acérée, verve piquante, troublée par cette poésie intrigante surgissant dans ces moments inattendus. Une mouche, des textos, une balade en scooter, une controverse singulière, un piège. Un rythme effréné, le temps n’a pas le temps de se languir, toujours plus, toujours plus d’images de cet homme captif de ses envies non partagées et contrôlées. Un personnage non sympathique, antipathique,  mais pour qui je me suis posée de nombreuses  questions. Aurait-il été le même homme dans un autre contexte socio-culturel ? Son comportement est-il conditionné par le modèle patriarcal ? Y a t’il cette volonté de se défaire des codes régis par la masculinité ? Ou est-ce une forme de lâcheté, d’esquive ? Est-ce vraiment de sa faute ? A t’il été conditionné psychologiquement ? Des questions où les réponses n’apparaissent pas mais qui lancent le débat sur ce thème de sociologie. Alors que certaines avancées sont réalisées pour la condition des femmes au travail entre autre, j’ai cette impression qu’un pas en engendre deux en arrière. Alors que #MeToo résonne encore, ce roman trouve une place légitime.

 

Un roman que je ne peux que vous conseiller, pour sa justesse, sa mélodie aussi dramatique qu’elle soit et son sujet. Lecture à croiser avec DES HOMMES JUSTES de Jablonka.

 

A découvrir absolument !

 

Une chronique de #Esméralda