KUESSIPAN, un roman de Naomi Fontaine

LITTÉRATURE DES PREMIÈRES NATIONS

Éditions Mémoire d’Encrier Collection Legba


« J’aimerais que vous la connaissiez la fille au ventre rond. Celle qui élèvera seule ses enfants. Qui criera après son copain qui l’aura trompée. Qui pleurera seule dans son salon, qui changera des couches toute sa vie. Qui cherchera à travailler à l’âge de trente ans,
qui finira son secondaire à trente-cinq, qui commencera à vivre trop tard, qui mourra trop tôt, complètement épuisée et insatisfaite. Bien sûr que j’ai menti, que j’ai mis un voile blanc sur ce qui est sale. »
Un récit sans concession. La justesse du ton et de la voix. La parole belle, féconde et vraie. L’extrême humilité d’une réserve amérindienne. Des vies échouées au large d’une baie. La grandeur d’un peuple oublié. La condition humaine. Et une prose lumineuse.

 

 

Ma note : 5/5 « coup de coeur et incontournable »
2018
118 pages
Disponible en numérique, poche et broché

 

 


MON AVIS

Je poursuis ma découverte des romans de Naomi Fontaine. Après Shuni, il était évident de lire Kuessipan.

 

Son premier roman laisse transparaître la tragédie dans toute sa splendeur. Portrait incisif, monochrome, diaporama frénétique, de ces vies décharnées, désillusionnées, déracinées. Puissante, sculpturale, la plume de Naomi Fontaine exquise dans sa simple réalité, un monde effondré. Une honnêteté sans faille, palpable.

 

Mais si vous regardez bien, si vous grattez sous cette couche noire et sombre, vous y trouverez de la lumière. Celle qui éblouie, puissante auréole, où l’espoir s’immisce aussi minuscule qu’il soit.

 

A la Sainte-Marie
Derrière la blancheur de sa peau, elle est rouge de la tête aux pieds. Rouge, la couleur des tisons qui fuient, celle de la brunante aux chaleurs d’été et celle du sang qui coule de la fourrure des animaux chassés. Elle s’élance, poussée par un fardeau trop lourd pour ses épaules. Dans une langue qui n’est pas la sienne, décrire un monde qu’elle a fréquenté, déchiffrer les sons graves de ceux qui sont aspirés, elle s’amenuise à chaque accord de guitare sèche. Son souffle s’accélère, elle dit mamu et les spectateurs comprennent qu’elle parle d’eux, des autres, de ce tout qu’ils forment par petites têtes brunes et blanches. Seule sur scène, elle chante la langue d’un peuple oublié, comme un appel à l’aide, comme par modestie. La voix et l’âme belle, pour ne pas oublier.

 

 
Un roman incisif, monumental, essentiel. La littérature des premières nations est indéfinissable. La sobriété, l’abandon, l’impuissance, en scène dans cette atmosphère dépourvue d’âme, ce paysage inerte attendant, je l’espère, le retour des chants, de la chasse, de la cueillette et des pas martelant la terre.

 

Un roman bouleversant et inattendu. Une fresque désolée et désolante, désœuvrée, impatiente d’être racontée, lue, transmise.

 

Une ode rythmée par les chants innus narrant le bouleversement et aspirant à la plénitude de ce monde qui se perd.

 

Il paraît que les hommes partaient à la chasse autrefois, des semaines durant, qu’ils revenaient vers leur femme avec de la viande pour des mois. Il paraît qu’une bonne pêche invitait à un festin tous les soirs de juin à septembre. L’homme, même absent durant de longues périodes, était maître de sa maison ou de sa tente. Il paraît que ces hommes savouraient chaque retour avec la conviction du travail accompli, avec l’ardeur et la rigueur qu’apporte ce sentiment masculin de fierté d’être non seulement pourvoyeur, mais aimant envers sa famille.
Personne ne lui a dit comment aujourd’hui il pouvait être comme ceux-là.

 

Une chronique de #Esméralda

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