


L’inspecteur Manchego approcha le smartphone dernière génération de son oreille, en retenant sa respiration. Il entendit une voix nasale, sur un bruit de fond rythmique, une sorte de lamentation ou de prière, et les accords d’une guitare. Il ne comprit pas un traître mot de ce que disait l’interlocuteur – c’était en anglais –, mais il devina qu’il ne s’agissait pas d’un appel au secours, on n’y sentait aucune peur.
— Qu’est-ce qu’il dit? demanda-t-il.
— Textuellement : ‘Papa, laisse-moi faire. Je maîtrise la situation.’
En bon Espagnol, l’inspecteur Manchego a tout de suite identifié d’où provenait le message : d’une boîte de flamenco. Pas de quoi s’alarmer, donc, quand un riche éditeur londonien, flanqué d’un interprète, vient, très inquiet, lui annoncer que son fils, la trentaine, bien sous tous rapports, a disparu à Madrid depuis plusieurs semaines, après ce dernier fameux appel.
Enlevé? Séquestré? Blessé? Tué? Mais non, il y a forcément une femme là-dessous.
En fait, surtout une exquise gitane aux yeux bleus – ça c’est curieux – et face à une tribu de Grenade au grand complet, le jeune Atticus a-t-il la moindre chance? Non, bien sûr… comme on va le voir au fil de ses irrésistibles aventures.
Traduit de l’espagnol par Judith Vernant.

LA GITANE AUX YEUX BLEUS est une très belle surprise. Une de celles qui fait sourire et dont on garde un très bon souvenir.
Mamen Sanchez narre avec un certain humour, une histoire peu commune.
A la lecture de la quatrième de couverture, je m’attendais vraiment à un polar. Certes l’intrigue policière est présente au menu, mais ce que j’en retiens est la fresque humaine que dépeint Mamen Sanchez. Nous sommes loin de la parodie humaine exacerbée, au contraire, l’auteur tire le portrait de femmes et d’hommes dans leur simplicité, leurs défauts et leurs espoirs, créant ainsi un un paysage rocambolesque mais tellement vrai. J’aime beaucoup la manière dont Mamen Sanchez s’approprie les codes sociétaux. Il les modèle et les casse pour finalement arrivé à ce sublime spectacle, théâtre de la vie.
Machengo est à l’image même de notre Columbo. Petites manies, un brin prétentieux, un autre arrogant, un air de malice, pas très farouche non plus. Machengo est ce petit flic qui rêve de gravir les échelons mais qui finalement se trouve très bien à sa place. Un peu naïf, un certain humour, impulsif et intransigeant, Machengo a la parfaite panoplie du flic qui rêve de s’épanouir. Alors quand il doit se charger de retrouver ce bourgeois d’anglais, dossier transmis directement par Scotland Yard, il pense être sur la bonne voie de la célébrité, mais ce qu’il l’attend est tout autre !
Atticus Craftsman est ce que l’on peut qualifier de digne héritier de sa famille bourgeoise anglaise. Lui qui ne jurait que par le sport, l’aviron, sa destinée s’en trouve bouleversée quand une blessure l’oblige à rester aliter pendant de nombreuses semaines. Lui qui ne prêtait aucune attention au métier de son père éditeur, par la grâce divine ou autre, découvre un monde littéraire fascinant. Guindé, bien éduqué, la parole lourde et des valeur d’un autre temps, Atticus évolue avec aise dans le monde de l’édition. Accro au Earl Grey de chez Twinnings dont il ne sépare jamais, la vie de et homme est régenté selon quelques concepts frôlant la manie : il ne se sépare jamais de ses livres rouges, de sa gabardine et de son coussin qui porte son nom. Notre Atticus semble bel et bien présenter des signes de rigidité avancé. Un voyage en Espagne et tout change pour le pire et le meilleur.
Monsieur et Madame Craftsman sont à l’image de ces couples bourgeois régis par les mondanités et fonctions en tout genre. Un mari taciturne qui ne parle que pour les sujets cruciaux. Une épouse frigide, recluse derrière un verni de bienséance.
Berta doit sa sagesse à des années d’observation. Son calme olympien et sa gentillesse font d’elle une patronne exemplaire à l’écoute et attentive au moindre maux de son équipe. Berta fait figure d’autorité mais également de maman. Elle est la personne sur qui l’on peut compter en toute circonstance. Sa famille sont les quatre autres femmes qui compose l’équipe du Librarte, journal littéraire détenu par les Crafstman.
La pétillante Solea apporte le dynamise à l’équipe. Ses idées et sa fougue font d’elle une femme accomplie et volontaire. Originaire de Grenade, elle a quitté sa famille pour vivre son rêve, écrire un livre. Son attachement à sa famille va au delà du raisonnable. Malgré son éloignement, elle tient à respecter les règles qui régissent sa famille. Solea est l’incarnation du péché de la tentation.
Maria est la comptable du journal. D’une précision sans faille et d’une efficacité à toute épreuve, Maria est une jeune maman débordée. Rare sont les jours où elle ne débarque pas sans sa petite fille au bureau. La patience et la générosité de toute l’équipe va rapidement adopter ce petit bout de chou.
Asuncion fraîchement divorcée, mère de deux garçons qui s’en foutent royalement et en surpoids à cause de la ménopause, a toujours le mot qu’il faut pour plomber l’ambiance. Elle arrive toujours avec des petites douceurs pour entamer la journée de travail.
Gaby est l’éternelle romantique légèrement névrosée. Son envie d’enfant en devient pathologique au point de risquer les ennuis avec son amoureux.
Leurs vies sont sur le point d’exploser quand Atticus débarque de Londres dans l’optique de fermer l’agence, mais ce que personne n’avait prévu, c’est que l’Amour se pointe dans toute sa splendeur.
LA GITANE AUX YEUX est sans contexte un roman à découvrir. J’ai aimé la manière dont Mamen Sanchez s’approprie des personnages olé olé et fait ressortir d’eux le meilleur et parfois le pire. Une plume vive et pétillante qui éblouit sans cesse. Un roman enivrant et fantasque. Caricatural sans tomber dans le graveleux. La légèreté est de mise. Une très belle surprise envoûtante aux tonalités enjouées et rythmées par des airs de guitare !
-Tu savais pas, bien sûr. Des fois, la première concernée est la dernière à comprendre. Par contre, Tico, il l’a su dès le premier instant. Il serait pas venu à Grenade avec toi s’il l’avait pas su, il aurait pas passé ses journées dans cette maison, à peler des fèves, il aurait pas appris à jouer de la guitare, il serait pas revenu à pied de la plage – trois jours et deux nuits, ça lui a pris, il me l’a dit – juste pour te voir. Lui, il le sait, Solea, mais il est anglais, et il comprend pas qu’ici, on fait les choses autrement.
Une chronique de #Esméralda.
